Lu Yin est née en 1899 à Minhou (actuelle ville de Fuzhou), district de la province méridionale du Fujian. Née Huang Ying ou bien encore Huang Shuyi, elle adopte Lu Yin comme nom de plume en 1925 et gardera le même jusqu’à sa mort. Issue d’une famille de fonctionnaires attachée à la tradition, elle vit une enfance marquée par la solitude. Dans l’autobiographie qu’elle publie en 19341, elle décrit l’oppression, la sensation d’écrasement qu’elle ressent à cette époque. Le poids des traditions sociales et familiales provoquent en elle un sentiment de révolte qui ne la quittera pas toute sa vie durant et influencera le contenu de son œuvre. Son père meurt d’une maladie du cœur alors qu’elle n’a que quatre ans, Lu Yin ses frères et leur mère déménagent alors à Pékin pour aller habiter chez un frère du chef de famille décédé. En 1909, elle entre dans une école protestante pour y apprendre à lire et à écrire.

Agée de treize ans, elle entre au lycée public pour jeune fille de Pékin. Elle note dans son autobiographie, qu’à l’âge de seize ans, elle lit dès qu’elle le peut, parfois en cachette, et avec passion les plus de trois cent traductions d’œuvres occidentales faites en langue classique par Lin Shu (1852-1921)2. Les grandes œuvres de la littérature chinoise font aussi partie de ses lectures. Elle connaît entre autre parfaitement les fameux romans Hong long meng (Le rêve dans le pavillon rouge) écrit sous les Qing par Cao Xueqin et Gao E ainsi que l’œuvre dramatique Xi xiang ji (Récit de la chambre de l’ouest) écrit sous les Yuan par Wang Shifu. Cette connaissance des romans et du théâtre classiques chinois aura une grande influence sur les œuvres qu’elle écrira. Après qu’elle a terminé de suivre le Cours préparatoire, elle se présente à l’Ecole normale pour filles de Pékin. Une fois diplômée en 1917, elle part enseigner dans des collèges à Pékin ainsi que dans ceux de la province d’Anhui. Cette expérience de l’enseignement au cœur des campagnes chinoises lui permet de voir les problèmes des populations qui y vivent et en particulier de prendre conscience des conditions de vie difficiles des femmes en milieu rural. L’une de ses nouvelles intitulée Funü shenghuo de gaishan3 (L’amélioration de la vie des femmes) s’en inspire largement.

Après l’éclatement du mouvement du 4 mai 1919, elle décide de poursuivre des études de littérature chinoise en intégrant l’Ecole normale supérieure pour filles de Pékin. A cette époque, l’Ecole normale supérieure de Pékin tout comme l’université de Yanjing sont les principaux foyers du renouveau intellectuel chinois. Si le « mouvement du 4 mai » est d’abord un sursaut patriotique provoqué par les « Vingt et une Demandes du Japon », il se transforme cependant rapidement en une véritable révolution littéraire, sociale et culturelle. Lu Yin découvre dans cet établissement un foisonnement d’idées nouvelles. Elle milite alors pour l’émancipation de la femme, pour le respect de la vie humaine, pour le bien-être des travailleurs ainsi que pour le renouveau des idées et l’élaboration d’une littérature nouvelle. L’écrivain Mao Dun (1896-1984) dans un essai intitulé Lu Yin lun (A propos de Lu Yin)4 , écrit d’elle qu’elle a été enfantée par le « mouvement du 4 mai ». Désignée représentante des élèves, elle participe à de nombreuses réunions et protestations, fait des conférences et signe des pétitions, organise des excursions. Pleine d’énergie et d’enthousiasme, elle se dépense corps et âme à en en perdre le sommeil comme elle l’écrit elle-même dans son autobiographie.

Le 4 janvier 1921, est créée à Pékin la « Société d’Etudes littéraires » dans laquelle Mao Dun et Zheng Zhenduo (1898-1958) joueront un rôle primordial. Lu Yin en est la première adhérente femme ainsi que l’un des tous premiers membres puisqu’elle y rentre en janvier 1921 avec le numéro 135. En 1922, elle sort diplômée de l’Ecole normale supérieure. Au printemps de cette même année elle fait un voyage en compagnie de plusieurs camarades au Japon, elle en revient avec un carnet dans lequel elle a écrit tout ce qui elle y a vu et dont le titre est Fusang yinxiang (Impressions du Japon), elle écrit aussi plusieurs récits de voyage comme Yue xia de huiyi (Souvenirs de dessous la lune) qui paraît dans Xiao shuo yue bao (Le mensuel du roman).
Lu Yin se marie en 1923 une première fois avec un étudiant en philosophie, Guo Mengliang, qu’elle rencontre lors d’un voyage d’étude dans le Nord-est de la Chine. Elle brave alors un premier interdit social en rompant son contrat de fiançailles qui la liait à un autre homme puis un second en épousant un homme déjà marié. Il naît de leur union une fille, Guo Weixuan. Deux années plus tard, son mari meurt subitement de maladie. Accablée de douleur, elle continue d’écrire et se lie d’amitié avec une jeune fille écrivain dont le parcours personnel est assez proche du sien, fait de souffrance et de deuil. Cette jeune femme s’appelle Shi Pingmei (1902-1928). Elles vont se soutenir l’une l’autre, connaître les joies de l’amitié, écrire ensemble et noyer aussi leur chagrin dans le même alcool pour ne se quitter que lorsque Shi Pingmei meurt en 1928 d’une méningite foudroyante. Une nouvelle de Lu Yin intitulée Xiangya jiezhi (La bague en ivoire) prendra pour modèle les amours de la romancière défunte.

C’est aussi cette même année, au mois de mars, qu’elle rencontre un garçon de huit ans son cadet. Il est jeune, poète et étudie à l’université Qinghua. D’abord simples amis, ils tombent amoureux l’un de l’autre. Pour Lu Yin, cette rencontre avec Li Weijian (1907-1981) ressemble au printemps qui vient redonner de la douceur et de la lumière à sa vie faite d’automnes sans fin. En effet, l’année 1928 aura été pour elle celle des deuils, en plus de Shi Pingmei, ce sont sa mère et son frère aîné qui meurent à leur tour. Après mûre réflexion de la part de Lu Yin, les deux amants décident de se marier en 1930 puis partent ensemble la même année faire un voyage au Japon. Elle écrit dans ce pays un petit essai intitulé Dongjing xiaopin (Petit essai en prose de Tokyo). En 1931, Lu Yin donne naissance à sa seconde fille, Li Yingxian. Les œuvres qu’elle écrit à partir de cette époque sont empreintes d’un certain lyrisme, le bonheur semble s’installer enfin dans la vie de Lu Yin. Cependant, parmi ses écrits, un roman intitulé Huoyan (Flammes) ne rentrent pas dans cette catégorie. En effet Lu Yin est aussi une jeune patriote qui est véritablement révoltée par ce qu’elle voit se dérouler sous ses yeux à Shanghai en 1932, c’est-à-dire le bombardement de la ville par les Japonais le 28 février, et ce sont ces événements qu’elle décrit dans ce livre. A ce propos, Su Xuelin (1899-1999), qui fut un temps une camarade d’études de Lu Yin, relate dans la préface qu’elle écrit en 1959 pour une édition de Haibin guren (Amis de plage), les circonstances dans lesquels Lu Yin a composé Huoyan. Elle explique que la tendance était à cette époque au socialisme et à l’internationalisme.

Lu Yin se sentait véritablement gênée d’écrire une œuvre aux accents ouvertement patriotiques. Ainsi, lorsque Su Xuelin lui rendit visite, elle tenta de lui cacher les épreuves de Huoyan, craignant qu’elle ne se moque d’elle. Su Xuelin ajoute qu’elle éprouvait à ce moment, elle aussi, les mêmes sentiments patriotiques6. Deux années plus tard, sa carrière s’achève brutalement. Enceinte d’un troisième enfant et alors qu’elle doit accoucher, elle meurt dans un hôpital de Shanghai, le treize mai 1934. Reconnue comme faisant partie des écrivains importants de son temps, sa mort inattendue provoque l’émotion dans le milieu littéraire chinois de l’époque. Mao Dun écrit dans Lu Yin lun (A propos de Lu Yin), qu’à la lecture de l’une de ses œuvres, c’est comme si l’on revivait l’esprit qui animait le mouvement du 4 mai 19197. Sa fille, Li Yingxian qui s’appellera plus tard Li Shuxian, va vivre avec son père Li Weijian. Celui-ci est sans le sous et ne peut prendre à sa charge l’autre fille de Lu Yin, Guo Weixuan, dorénavant orpheline de père et de mère. Il fut alors décidé entre Shu Xincheng, ami de Lu Yin et Huang Qin, frère de Lu Yin que ce dernier s’occuperait de Guo Weixuan à qui revenait les droits d’auteur de sa mère défunte.