Pour définir l’œuvre et la personnalité de Lu Yin les critiques littéraires semblent s’accorder sur un certain nombre de points dont Kirk A. Denton fait le résumé suivant : « …les travaux de Lu Yin furent pour la plupart publiés dans le Xiaoshuo yuebao (Le mensuel du roman), et se caractérisent par leurs côtés lyriques, subjectifs et romantiques. 9».

Nous donnerons à la fin de cette seconde partie dédiée à l’œuvre de lu Yin le détail de ces publications parues dans le Xiaoshuo yuebao. A cela, Zhang Yinde ajoute en parlant de Lu Yin : « …[Lu Yin] utilise plutôt un parler franc pour briser les illusions du bonheur et enlever les masques de la joie, en exposant à ses lecteurs une vision profondément pessimiste. 10» Pour Zhang Yinde, Lu Yin serait imprégnée d’un profond sentiment de souffrance qui lui ferait voir la vie en noir, cette vision très pessimiste de la vie lui viendrait de ses lectures des philosophes nihilistes allemands et en particulier d’Arthur Schopenhauer (1788-1860).

Pour étayer son jugement, il cite Lu Yin qui écrit à ce sujet dans le chapitre Sixiang zhuanbian (changement de mentalité) de son autobiographie : « En lisant la philosophie de Schopenhauer, j’adhère profondément à ses propos selon lesquels ‘la vie est un océan de souffrances’. Désormais tout objet est teinté de mélancolie dès qu’il se projette dans mes yeux gris, puisque mon esprit en est entièrement imprégné.11 ». Lu Yin ajoute encore à la même page : « A ce moment-là, tous mes efforts visent à briser les rêves illusoires des gens et à dévoiler les faux masques de la joie. ».

Ce que semble détester le plus Lu Yin, ce n’est pas véritablement la joie en soi mais bien plutôt l’hypocrisie et les faux-semblants qui se cachent sous les apparences de la joie. D’après Zhang Yinde l’œuvre qui est la plus représentative de cet état d’esprit de création de Lu Yin dont l’œuvre serait « si grise » est la longue nouvelle intitulée Haibin guren (Amies de plage) qui est écrite en 1923. Il est en effet manifeste que la nouvelliste exprime là toutes les souffrances que ressentent les femmes de cette époque dans une société qui leur refuse toute émancipation et toute participation réelle mais cette première création de la toute jeune écrivain Lu Yin sera suivie par d’autres au ton parfois très différent. Elle publie en 1925 Haibin guren (Amies de plage) puis Ling hai chaoxi (Flux et reflux de l’océan merveilleux) en 1930. En 1931, paraît Meigui de ci (Epines de rose) ainsi qu’un livre rassemblant la correspondance amoureuse de Lu Yin et de Li Weijian dont le titre est Yun Ou qingshu ji (Amitié amoureuse : correspondance sentimentale de nuage mystérieux et froide mouette.).

Sous les deux pseudonymes se cachent bien évidemment les deux amants. Dans cette dernière œuvre, l’auteur n’a pas peur d’étaler au grand jour sa passion amoureuse, ses désirs de femme, sa joie d’aimer…et elle semble considérer qu’un certain bonheur même teinté de tristesse et de mélancolie est néanmoins possible. Nüren de xin (Le cœur d’une femme) paraît en 1933. En 1934 paraissent Xiangya zhijie (La bague en ivoire) et Lu Yin zizhuan (Autobiographie de Lu Yin). Nous donnons à la fin de la présentation de l’œuvre de Lu Yin les principales dates de première publication de ses recueils de nouvelles.