La nouvelle Fuqin (Père), dont nous proposons une traduction a été écrite en 1924 par Lu Yin (1899-1934). Lu Yin fait partie de cette jeunesse chinoise qui a été profondément marquée par le mouvement du 4 mai 1919 et le bouillonnement d’idées qui l’accompagne. En tant que femme, elle participe au débat d’idées qui vise à cette époque à faire évoluer la société en général par le biais de la littérature, de l’éducation, des arts et de la culture dans son ensemble. Lu Yin écrit dans un premier temps quelques textes traitant de problèmes sociaux, elle réclame entre autres l’amélioration des conditions de travail des ouvrières dans les filatures de soie et celle des paysannes en général.
Ce n’est pourtant pas dans le domaine social que Lu Yin va consacrer le plus ses talents d’écrivain. Ce qui l’intéresse, c’est la littérature et plus particulièrement la littérature du point de vue de la création. Pendant une douzaine d’années, elle va se consacrer à l’écriture et arriver à se forger un style qui lui est propre. En dépeignant les tourments et les peines de la jeunesse en manque de repère de son époque, elle contribue en définitive à dévoiler les problèmes dont souffre cette société.
La nouvelle Père est, aussi bien par le style employé que par les thèmes abordés, une bonne illustration des buts que Lu Yin s’était donnés dans son processus de création littéraire. Pour mieux cerner les motivations de Lu Yin dans son travail de création, il est nécessaire de s’intéresser à la vie même de l’écrivain, ce qui constituera la première partie de cette étude. Puis en étudiant de plus près l’œuvre de Lu Yin, nous comprendrons l’importance qu’elle revêt pour la compréhension d’une époque charnière dans le domaine de la création littéraire. Dans une dernière partie, nous étudierons plus en détail les différents aspects de la nouvelle Père, texte qui témoigne de la sensibilité et du talent de l’auteur ainsi que d’une époque en pleine mutation dans laquelle mal être, recherche de l’amour vrai, de la liberté et esprit de révolte sont intimement liés.
Cette expérience de traduction d’un texte écrit en 1924 a été une excellente occasion de découvrir plus en détail une époque si importante dans l’histoire de la littérature chinoise. Découvrir un auteur et son œuvre demandent de nombreuses lectures et beaucoup de temps, j’espère pouvoir au mieux restituer dans les pages qui suivront ce que j’ai pu découvrir de Lu Yin et de ses oeuvres dont les rééditions récentes en Chine indiquent un intérêt nouveau de la part du public chinois. Pour ce qui est du public francophone, je fus très surpris de découvrir au cours de mes recherches qu’il existait déjà une traduction en français de l’une des œuvres de Lu Yin.
En effet, Zhou Zongfan (1906- ?), a traduit Ou yun aishu ji (Amitié amoureuse : correspondance sentimentale de nuage mystérieux et froide mouette) ; Cette traduction a paru dans La Politique de Pékin : revue hebdomadaire illustrée (Beijing zhengwen bao) du 3 mai 1930 au 5 juillet 1930, ce qui correspond aux numéros 18 à 27 de l’année 1930. Il est noté dans la préface écrite par Alphonse Monestier, rédacteur en chef de cette revue, que Lu Yin et Li Weijian avaient pour projet de se rendre en France pendant l’été 1930, ils sont présentés par le préfacier comme des admirateurs de la littérature française. Leur projet ne se réalisa pas mais le traducteur, Zhou Zongfan, s’y rendit ce même été et y resta cinq ans pour y suivre des études supérieures comme étudiant de l’Institut Franco-chinois de Lyon.