Comme nous l’avons déjà noté, Lu Yin était membre de la « Société d’Etudes littéraires ». Ses lectures d’œuvres étrangères traduites en chinois par Lin Shu lui ont permis d’acquérir de solides connaissances dans le domaine de la littérature occidentale, connaissances qui sont nécessaires à qui veut participer sérieusement aux objectifs que s’est fixée la toute nouvelle « Société d’Etudes littéraires » à qui la Commercial Press, maison d’édition de Shanghai, a confié la responsabilité du Xiaoshuo yuebao (Le mensuel du roman).
Paul Bady dans La littérature chinoise, écrit à ce sujet : « Jusqu’alors consacrée à une littérature de divertissement en langue classique, elle se voit désormais assigner des objectifs beaucoup plus sérieux. Par une étude méthodique des littératures étrangères, il s’agit de remettre de l’ordre dans la tradition chinoise et de créer une littérature nouvelle, qui aura pour mission d’exprimer la vie sous toutes ses formes, notamment sa dimension sociale, que l’école réaliste a imposée en Occident. 12».
Dans un article intitulé Desire and repression : Werther and modern Chinese writers (Désire et répression : Werther et les écrivains chinois), Terry Siu-Han Yip explique qu’après que Guo Moruo a traduit en 1922 le célèbre roman de Goethe (1749-1832), Die Leiden des jungen Werthers (Les souffrances du jeune Werther), ce roman a alors exercé une très grande influence sur de nombreux écrivains dont Lu Yin. Il cite en particulier l’une des nouvelles de Lu Yin, Les souffrances d’une certaine jeunesse (Huoren de bi’ai), dans laquelle la principale protagoniste Yaxia, souffre d’un amour qu’elle réprime comme le jeune
Werther et comme lui elle n’arrive pas à s’adapter au monde réel et concret, prisonnière qu’elle est d’un tempérament romantique et d’un sens moral aigu13.
Lu Yin s’inspire d’autres écrivains étrangers comme par exemple Henrik Ibsen (1828-1906) dont la pièce de théâtre, La maison de poupée, connaît un grand succès parmi les jeunes intellectuels chinois de cette époque. Un poète indien, Rabindranath Tagore (1861-1941), marque lui aussi cette génération par son romantisme et ses questionnements métaphysiques sur la vie et la mort. Lu Yin apprécie également le célèbre poète philosophe indien. Dans sa nouvelle Père, elle cite ainsi par deux fois Hemnalini, l’héroïne de l’une de ses œuvres intitulée Le Naufrage.